World War COVID Guerre mondiale: From WeaponWorld to PeaceWorld; Learner, begin... De la terre en armes au monde paisible ; Apprenti, débute

- INFANTERIE, longues citations rétablies -

mark Season 21 Episode 1170

Se chausser dans les bottes du combattant moyen.

COVID GUERRE MONDIALE
De la terre en armes au monde paisible
Apprenti, débute 

- INFANTERIE 

Je n’ai pas servi comme guerrier durant cette tournée de ronde ni connu de combat (touche du bois !) Mais je crois avoir servi cette peine dans des vies antérieures, et que tu te le serais tapée de même. Nous sommes tous vétérans et victimes du combat, si seulement par rappel subconscient.

Tant pis si tu nies mes écrits par refus de croire en la réincarnation sinon certitude que des civiles (ou ceux qui te disputent) doivent se taire au sujet de la guerre. Lis-le ou pas, rends-t’en compte ou pas. Tout ce que je puis faire, c’est de te le proposer

Nous devons goûter l’acide vomi plein sang de la guerre, sans avoir à l'éprouver en temps réel ; aspirer sa puanteur à fond, et nous laver le visage dans ses effusions. Nous devons nous familiariser avec toute l’horreur qui nous a été épargnée par bonne fortune et rare sagesse cette tournée de ronde. 

Evoquons le combat des récits de ceux qui l’ont éprouvé pour nous, aussi d’expériences antérieures vaguement retenues ou oubliées. Ainsi pourrions-nous éviter de le répéter à présent comme dans l’avenir — bien moins fréquemment que lors des réincarnations du passé. 

Je peux te répéter l’histoire que conta mon grand-père. Il me dit que le meilleur fruit qu’il ait goûté – et nous habitions Provence, lieu d’un bon nombre de bons fruits – fut d’oignons crus déterrées d’un arpent abandonné : ces oignons enduits de terre ; et « on les a mangés comme des pommes. » Puis il en sourit, de son souvenir.

Que quand ton escouade se fait attraper loin d’abri dans un ouragan de feu, mieux vaut ramper en avant jusqu’à ce que ta tête ne s’enfouisse sous les entrejambes de celui en file du devant, puis poser ton casque sur son arrière train. 

Qu’il ait trouvé drôle, quand un de ses gars chia dans sa culotte (ce qui arrive à un sur quatre des combattants ou plus sous le feu) cette fois sur la tête de son prochain en file ! Ils survécurent cette tempête-là, de telle terreur à faire dans ses culottes, pour en ricaner ensuite.

Ou l’histoire de mon père qui attrapa des poux sous une jetée pourrie avec sa compagnie d’éclaireurs antichars. Sinon me démontrant, grave et silencieux, l’étroite plage de galets au fond d’une gorge aux ombres profondes. Elle était trop abrupte pour y négocier la descente à l’aveuglette, bien qu’elle pût receler un sentier. Mon père ne nous le montra pas et nous n’y sommes jamais revenus, quoiqu’elle fût assez proche de chez nous.

Son meilleur ami et sa section désembarquée furent massacrés dans une croisade de mitrailleuses allemandes, probablement nichées en haut de cette falaise, près du bord que nous chevillions à ce moment, une bonne trentaine de mètres ou plus par-dessus (j’étais alors jeune et petit) une triste petite plage rocailleuse au bord de la croisette. Loin sur l’aile droite du débarquement américain en Provence : là où plus loin le Groupe naval d’assaut de Corse fut massacré. Mon père en eut de la veine !

Un autre de ses meilleurs amis périt après la tombée de Dien Bien Phu. Il y commandait les dix chars envoyés en pièces par avion, et lui dans le char en tête avec deux bras cassés en plâtre. Il mourut pendant l’évacuation et la concentration des prisonniers, avec deux tiers de ses camarades encagés.

Ou l’histoire que mon père me conta une fois, quand il fut jeune lieutenant en tête de la colonne régimentaire de cavalerie pendant une marche de deux mille kilomètres, du Texas au Kansas et de retour : la dernière de telles dans l’histoire américaine. 

Ils étaient drogués de chaleur, de retour au poste. Les chevaux à la pointe de son avant-garde, en s’approchant au camp, le flairèrent et s’élancèrent au pas de charge par-dessus la dernière crête et dans la vallée et leurs stalles doucereuses, sous le soleil écrasant et leur cavaliers somnolents. Quelques-uns ont dû piquer du nez, bien que lui ne m’en parla pas et je fus trop bête pour lui requérir des détails.

Mon père transmit la nouvelle le long de la colonne qu’il fallait ranimer tout le monde car les chevaux allaient devenir rétifs. Je te parie qu’ils ont fait une grande rentrée de parade à la fin d’une marche de maître. Il ne m’en parla plus, mais je perçus la fierté dans ses yeux.

Tous deux ont coupé court leurs petites histoires et me les ont racontées parcimonieusement, bien qu’ils sussent que je les écouterai bouche bée pour aussi longtemps qu’ils souhaitaient causer. Tant fut la peine de leurs souvenirs.

 

Chaussons les bottes crasseuses du fantassin d’infanterie au combat. Au monde paisible, chaque enfant recueillerait cette sorte d’histoire jusqu'à ce qu’il lui soit ordinaire — quoique plus rien de la gloire militaire. A huit ans, on aurait déjà pris Infanterie en dictée à l’école sinon le dévoré en magazine illustré. 

Allons-y tout de même …

 

Au lieu de te réveiller dans un lit douillet dans une chambre tiède le long du couloir de parents affectueux ; soit auprès d'une douce compagne souhaitant bien t’aimer, soit solitaire et nébuleux ; tu sursautes en éveil depuis une litière de feuilles pourries au fond d’un trou humide, éveillé par une démangeaison persistante et la cacophonie d’explosives à haute puissance qui t’assomme depuis des mois, sinon par quiétude sinistre qui ne présage rien de bon. 

L’horizon gronde du fracas lointain de l’artillerie lourde – la tienne si tu as de la veine, sinon celle de l’autre côté ou des deux – ce son étonnamment comparable au borborygme de tes tripes vides — sauf qu’il fait frémir le paysage entier en outre de tes boyaux flétris. Friand pour une autre bouchée, elle fait couler un petit filet de sable dans ton trou. Fais gaffe qu’elle ne te décortique de ton terrier et ne te dépèce pour son petit déjeuner ! Rien à faire ce concernant.

Solitaire, tu es entouré de paquets fumants de camarades martyres enterrés hors de vue. Depuis une quinzaine ou plus, aucun de vous n'a mis de côté ses chaussures pourries ni ses guenilles couleur de caca, ni ne s’est bien reposé ni baigné. Si tu as dormi du tout, ton coma mortel fut baigné en sueurs, bourré de cauchemars et interrompu à tout moment de façon exaspérante. La stupeur de sommeil spolié fait part de ton sort quotidien autant qu’à celui de tes officiers décisionnaires de vie et de mort.

Cette levée-ci sera aussi sombre et humide que les autres, selon l’excès saisonnier de canicule en sueurs ou de givre grelottant. Ou la pluie ou tes sueurs détrempent tes habits pourris. Qui aurait cru, depuis le confort d’une maison bien étanche, que le simple temps dehors fusse si redoutable ? 

Tes narines s’emplissent de la fétidité ordinaire aux champs de bataille. Elle se comporte de boue ou de poussière ; d’haleine fétide, d'arômes de corps humains et leurs déchets ; du moisi d’habits, de vivres et d’équipements ; des effluves d’explosif à haute puissance ; de bouts cuits de chair en décomposition ; du flot en éclat du sang frais ; du doux relent quasi-cacaoté de sa décomposition ; ou du porc rôti de sa flambée. Le tout accentué depuis presque cent ans par le remugle omniprésent du diesel. Autre fois, c’était la puanteur de basse-cour des bêtes de trait et de cavalerie, leur excrément et celui aléatoire d’êtres humains encrotant les godasses en marche.  Rien en vie ne pue autant qu’une colonne serrée d’infanterie crasseuse, sauf celle de chevaux surmenés aux plaies putrides.

Les effluves toxiques et fluides taboues que tu éviterais en temps paisible composent en guerre ta toilette quotidienne. Le rappel de cette puanteur et ces retentissements infectera ta psyché jusqu'à ta disparition. Tout soupçon d’elles ranimera ta fugue post-traumatique lors de distants avenirs civils. 

Ton corps souffre partout et la diarrhée trotte de près derrière toi, te grippant les tripes ; elle advient à mi de ta crainte et ton affaiblissement immunitaire et à mi du petit déjeuner fécal que tu viens de gaver. Tes muscles sont saturés d’acide lactique : le lait du surmenage. Ta peau rampe d’une grouille exaspérante de bestioles (les compagnons fidèles du combattant) et d’un lustre qui colle et pue. Même tes sueurs et celles de tes compagnons puent de l’ammoniaque, car vos corps hyper abusés n’incorporent plus de graisse et se carburent au tissu musculaire. Tu souffres de plaies et de plaintes chroniques que personne ne reconnaîtra sauf pour les ridiculiser. Tu devras tousser, éternuer, pisser ou chier en moment périlleux et compromettre de ce fait tes compagnons. Tu as perdu plus de poids que ne serait normal ou sain. Ton épuisement te prosternerait dans des circonstances normales. Un docteur qui valut son sel jetterait un coup d'œil sur ton pauvre cul désolé et l’expédierait au lit pour une bonne semaine de repos et de bonne alimentation. Pas ici, pas maintenant. L’effectif des unités en première ligne est d’habitude trop faible pour permettre ce luxe.

Tu as constamment faim et soif. L’eau de la tiédeur puante de chlore te rend la nausée sans combler ta soif. Tu perds ton appétit du moment que tu ouvres ta boite d’aliment de chien, les rations du combattant. Pour chaque tourment t’étant acquitté par le génie logistique de ta patrie, une douzaine de plus t’infestent en pires et moins remédiables. 

Que tu sois toxicomane ou pas, la fausse promesse d'alcool et de drogues te fait souffrir comme un damné. Tu ferais presque n'importe quoi pour quelques gorgées, pilules ou piqûres d'évasion. Toutefois, ni la nourriture, ni la boisson, ni les drogues, les horreurs moisis accessibles dans ta porcherie, ne te consoleront. 

Ta seule véritable consolation, c’est le courrier problématique : un petit mot précieux de chez toi. Le commis des postes peut aussi bien te jeter une note contenant la mauvaise nouvelle que ta compagne, rendue folle de solitude, s’est précipitée dans les bras du premier merdeux venu, sinon que ta famille et tes amis se sont fait massacrés pendant une récente atrocité martiale chez toi et t’ont abandonné pour toujours. 

Au lieu de circuits rébarbatifs à un boulot modérément passable, tu dois faire face à la machinerie ronflante de haine industrielle qui s’étend depuis l'horizon : le génie plénier, toute la fortune et la fleur de la jeunesse d’un pays aléatoire, les citoyens desquels tu n'as jamais rencontré ni tenus en querelle — entièrement, consacrés, à, ton, extermination, particulière. Gloupe ! 

La puissance de feu de ton armée est aussi menaçante que celle de l'ennemi. Les troupes en première ligne peuvent être et sont massacrées par l’un ou l'autre côté. Les forces mécanisées sont des germoirs de désastre mortel ; l’artillerie, les chars et l’aviation des deux camps, parfaitement conçus pour déchiqueter ta transparente vulnérabilité. La maladie et la mésaventure t’abattront aussi facilement sinon plus que le combat. La mort n'est pas particulière au champ de bataille. 

Le péril te menace de partout, ainsi que l’exécution impassible par peloton de feu, voire par ton chef d’escouade et son simple pistolet, pourvu que tu ais trouvé un coin de sécurité. Aucune sûreté ne t’attend sauf dans les rangs bien alignés d'un cimetière militaire ou d’une chambrée de convalescence. Sans quoi, ce qui t’attend, c’est une fosse commune raclée par bulldozer ou une grotte moite, empestée et résonnant de cris : des premiers secours aux trois salves du salut funéraire, avec précision réglementaire.

Au lieu de la ronde de politique journalière auprès d’analogues raisonnables et familiers, sous les contraintes de la civilité et des lois, tu dois faire face à des âmes perdues, autant souillées et malheureuses que la tienne. Au lieu d'une coterie d’amis et de riverains nourris par la bonté mutuelle, vous formez une troupe puante de compulsifs névrotiques brutes et vulgaires avec lesquels rien ne reste à partager que votre misère commune motivée par dépit fugace et terreur parfaitement raisonnable. 

Si tu es assez fortuné et en possession de la dignité du courage, ils te traiteront comme un frère noble durant une crise, te partageront leur croûte de pain et gorgée d'eau, risqueront leur vie pour sauver la tienne — et t’abuseront comme une saleté entre-temps. Vos tendres sentiments et corps rompus seront à la merci chacun de l’autre. Aucun choix là-dedans. 

Ce matin noir t’apporte des cancans à toi et tes mecs de partager. Vous êtes devenus bien malins à présent, aussi superstitieux que des cannibales, de vigilance farouche à l’encontre de tous. 

Si tu te trouves dans une certaine poche de sécurité relative, le combat pourrait te sembler une inquiétude secondaire. Tu seras harcelé par des maîtres d’esclave d’arrière secteur, triés pour leur insensibilité, avec la seule intention de vous intimider. De parfaites brutes que tu ne côtoierais pas dans la vie privée ni ne rendrai confiance au combat, pour effectuer des ronds de corvée sans fin et sans valeur, dégoûtants et épuisants. Leur seule réplique à ta requête de dignité : l’insulte réfléchie, la brutalité et l’expédition en danger. Leur sûreté relative dicte ton péril ; leur maigre confort, ta misère. Des lutins zébrant les entrées de l’enfer, aiguillonnant les damnés vers le malheur ; leur but primaire, c’est de te refouler dans les tirs. Comme tant d'autres institutions répressives en temps de paix, comme les cils qui rayent l’intestin péristaltique, ils refoulent des déchets après en avoir extrait chaque lambeau de vitalité. 

Tes commandants seront plus attentifs à la destruction de l'ennemi qu’à ton bien-être. S’ils sont des braves, ils bosseront jusqu’à en crever pour que tu sois nourri et hébergé aux normes minimes, regretteront brièvement ta détresse d’insecte et ta disparition, puis poursuivront leurs plans. Sinon ne s'inquièteront-ils point de toi ; ils chercheront leur promotion en promouvant tes troubles, sans en faire-part eux-mêmes.

 Un bon officier te mènera en enfer et en sortira autant possible des tiens intactes par son sang-froid, sa compassion et son savoir-faire (surtout sa bonne chance miraculeuse !) ; celui mauvais, le contraire par stupidité, couardise et snobisme. Il n’y a pas de mauvaises troupes, seulement des mauvais officiers. Ceux bons forment des troupes d’élite avant de se sacrifier ; ceux mauvais survivent trop souvent leur ineptie létale. 

C’est ce que crée un général et lui rend ses d’étoiles. Son bilan honorable en tant que chef de petite unité au combat il y a une ou deux générations, et sa ruse politique depuis, lui ont livré ses promotions. Comme du bon vin tourné en vinaigre : son noble devoir se dévolu en automatisme : astreindre ou remplacer ses commandants subordonnés quand leur sens meurtri de compassion les paralyse. Cela va sans dire : absent la catastrophe, il ne s’approcheront plus au péril, ni lui ni son chef de cuisine à trois étoiles. Sa charge primaire sera de vous clouer, toi et tes compagnons, sur une position untenable ; puis vous envoyer en marches de plus en plus périlleuses jusqu'à votre perte, comme du bagage égaré. Inutile de s'en ennuyer. Il disposera toujours d’un flux de remplaçants anonymes pour combler le vide et se faire user à leur tour. Le Général américain George Patton n’était pas content sans que quelques-uns de ses nombreux lieutenants ne fussent récemment abattus. Voilà son devoir, sa gloire et sa récompense. 

Quant aux maîtres civils de guerre, c’est encore moins décent. En tant qu’infanterie de première ligne, le moins que tu saches de leur politique, le mieux pour toi. 

Savais-tu que les quatre derniers candidats Republican à succès électoral présidentielle ont négocié avec l'ennemi derrière le dos d'un président Democrat ? Rends-toi compte aux archives publiques : le président Johnson v. Nixon avec les Nord-Vietnamiens, le président Carter v. Reagan avec les Iraniens, le président Clinton v. Bush le moindre avec les Taliban et le président Obama v. Trump avec les Russes. Trahison, crimes graves et délits mineurs : les seuls moyens pour des candidats Republican de gagner une concurrence honnête, du moins jusqu'à ce que la Cour suprême truquée n’ait mis son pouce réactionnaire sur la balance. Les médias « neutres » crucifieraient un candidat Democrat qui s’y oserait faire. Obama ne s'en serait jamais tiré d’un dixième de la merde que Trump commet habituellement. Si j’avais réclamé une cote de sécurité comprenant le dixième du bagage déontologique de Trump, on se serait moqué de moi. Apparemment, l’attestation de sécurité n’est pas nécessaire pour un candidat à la Présidence, encore moins pour l’élu.

Du n’importe quoi.

 

Ton meilleur copain périra sous tes yeux sinon le trouveras-tu terriblement mutilé dans tes bras, de même que ses remplaçants et leurs remplaçants et probablement toi à la longue. Après avoir témoigné de leur agonie et lavé tes mains dans leur sang, tu les  enterreras dans un trou commun (l’un de nombreux que tu devras creuser) qui prit des heures d'éreintement dans l’écorchure de la glèbe, des pierres et des racines à tes pieds. Il est stupéfiant, le travail impliqué dans la creuse à la main d’une tombe adéquate, d'une latrine ou d’un abri fiable.

Des sous-munitions aux dimensions de citron rebondissent au fond des fortifications, en un ouragan de petits éclats en bas des descentes de l’abri et autour de ses murs de sacs de sable, déchiquetant ceux terrifiés gisant au fond. Des kamikazes en vol ou des techniciens situés de l’autre côté du monde peuvent piloter des véhicules et des drones piégés, et bientôt de l’intelligence artificielle, sans la moindre chance de les évader.

Attention, une fois que la police adoptera ces drones, elle traquera les « terroristes » (ceux qui remettent en cause le monopole de la corruption routinière des dirigeants, quelle que soit leur orientation politique). Ces victimes seront abattues dans la rue, anonymement, de jour comme de nuit, et laissées pourrir comme un exemple pour les autres, leurs proches risquant le même sort s’ils les touchent. Ainsi de même, les alliés des dirigeants et ceux neutres, aux mains des deux côtés. Hommes, femmes et enfants : tous en première ligne de combat.

 

« La blessure qui vaille un million de dollars (comme celle soufferte par les héros de Hollywood) c'est celle provoquée par une balle militaire de grande vélocité, nullement déformée et toujours emballée dans son enveloppe de métal, qui passe directement à travers le tissu relativement élastique du muscle puis en dehors de l'autre côté, créant un tunnel de la minceur d’un crayon et délogeant une sortie en forme d’étoile d’environ deux centimètres de largeur.  Cependant, les dimensions du tunnel provoqué par le passage de cette balle se permutent en raison des embardées.  Le long d’à peu près les premiers 15 cm de sa traversée, cette balle entièrement revêtue maintient son point en avant et ceci peut lui permettre de jaillir de l’autre côté ; mais parce que la base de la balle est plus lourde, elle veut toujours être en avant. Au-delà cette distance commencera-t-elle à rouler et virevolter.  Quand cette dégringolade atteint 90°, la balle se déplace de travers, agrandissant de ce fait le tunnel à 3 cm ou davantage de travers.  Après avoir passé 40 cm de tissu, la base fait pic et le tunnel reprend son envergure initiale.  Sans tenir compte de l’intervalle parcouru à l'intérieur du corps, une balle qui percute des os majeurs peut se casser ; sa veste en métal et son noyau souple de plomb peuvent se séparer en morceaux irréguliers dont chacun prendra une destination imprévisible — ainsi que les morceaux d'os cassé.  Dans ces cas, la blessure de sortie peut atteindre jusqu'à 13 cm de travers.  Les blessures aux membres peuvent endommager massivement en brisant les longs os ; en particulier aux jambes, là où les os brisés menacent les vaisseaux sanguins principaux.  Même une pénétration dite « propre » du cœur, du foie et des vaisseaux sanguins principaux sera d’habitude mortelle, et les atteintes au cerveau ont normalement des résultats dévastateurs, même quand leur victime en survit :…

 [Nota : la modernité des armures par balle et de la maîtrise chirurgicale permet la survie davantage de soldats qui moururent vite jadis : ceux atteints aux portion exposées de la figure et du cou qui emmènent au cerveau et aux vertèbres cervicaux.  Ce qui produit une foule de gueules cassé qui n’auront qu’à survivre le restant de leur vie dans un état plus ou moins végétal et paralysé.  Un autre grand groupe de survivants de cette haute technologie perd leurs membres sans armure : leurs jambes et bras, leurs mains et leurs pieds.]

« …Indépendamment des embardées et des coups aux os ; la quantité de dégâts que cause une balle dépend d'un autre effet du nom de cavitation. 

« Imagine une boule de tennis forée au centre et glissant librement le long d’une tige mince comme un crayon.  Cette tige, c’est le tunnel creusé par la balle : la cavité permanente.  La boule, c’est la cavité provisoire provoquée tout autour de ce parcours par une brève mais forte onde de choc suivant la balle de près : cette cavité atteignant 18 cm de travers, qui s’effondre ensuite vers l'intérieur (l'effet du vide peut également sucer des saletés par la voie d'entrée de cette balle).  Quelques organes comme le foie ne peuvent rarement en survivre ; d'autres en sont moins atteintes, tel que le poumon. 

« Le tissu musculaire épaté dans la cavité permanente et le tissu étiré dans la cavité provisoire, sont tous deux effectivement rendus en sangsues abruptement dépourvus de leur approvisionnement sanguin par voie mineure ; si laissé non traitée, cette chair se décomposera (en nécrose) créant un milieu idéal pour la reproduction des bactéries.  Le traitement chirurgical implique donc un débridement : découper ce tissu mort ainsi qu’une marge de tissu sain aux alentours ; ceci plus ou moins radical selon les circonstances distinctes.  La correctitude de la synchronisation et du degré de débridement, voici des sujets de discussion professionnelle parmi les chirurgiens de trauma.  Dans le meilleur cas, du nouveau tissu sain s’étendra vers l'intérieur depuis les alentours de la blessure débridée.  Dans les cas les pires, la nécrose se produira, la gangrène, et les chances du patient se rendront sérieusement inquiétantes. »  

Martin Windrow, The Last Valley: Dien Bien Phu and the French Defeat in Vietnam (La dernière vallée : Dien Bien Phu et la défaite française au Vietnam,) Da Capo Press, Perseus Book Group, Cambridge, Massachusetts, 2004.  Publiée d'origine chez Weidenfeld et Nicolson, Londres, Angleterre, 2004. Pages 533-534. (Voir aussi, au deuxième paragraphe en dessous.)

 

«Aucune arme ne m’épouvante autant que l’obus.  Les balles retiennent une certaine logique.  Met un bout assez costaud de béton entre toi et le tireur et tu demeureras indemne [en attendant des coups de feu d'intelligence artificielle.] .  Cours entre tes cachettes, car il est difficile, même pour un tireur d’élite, de toucher l’homme qui fait un bon sprint.  Même quand des gens aux alentours de toi sont atteintes, leurs blessures ne semblent pas si graves pourvu que la balle n’ait virevoltée en vol ni frappée à la tête.  Mais les obus ?  Il peuvent faire des tours au corps humain, que tu n’aurais jamais cru possibles ; entièrement le retourner comme une rose fumante ; le tordre en arrière et au dedans ; le hacher, le déchirer en lambeaux ; le réduire en pulpe ; des mutilations d’une bassesse si maligne qu’elles n’ont jamais achevé de m’écœurer.  Et puis il n’y a aucun abri fiable du feu d’obus.  Ils peuvent tomber du ciel jusqu’à tes pieds, sinon pénétrer n’importe quelle architecture afin de te découvrir.  Quelques pièces dont se servaient les Russes, tranchaient à travers un immeuble de dix étages avant de percuter au sous-sol.  Les obus peuvent arriver silencieux et sans annonce, sinon siffler et hurler leur arrivé : ce son semblant t’écorcher les nerfs plutôt que te prévenir de quoi que ce soit.  C’est leur détonation toute seule qui paraît toujours pareille – une sensation autant qu’un son – ce hideux sucement-hurlement-coup sourd qui, de lui-même, peut crouler ton palais et liquéfier ton cerveau, pourvu que t’en sois assez proche. »  

Anthony Boyd, My War Gone By, I Miss It So (Ma guerre de naguère, qu’elle me manque tant.) p. 244. 

 

« La métaphore répertoriée jusqu’au clichée mais néanmoins la plus précise en ce qui concerne le bruit d’un obus surgissant en vol, c’est celle d'un train démodée d’expresse à vapeur se précipitant à un mètre d’écart.  Selon la distance, la vitesse et l’angle [et aussi le calibre] des obus, en perçant leur tunnel dans l'air, rendent-ils des sons légèrement différents. Ainsi le barrage lourd se tisse d’une ahurissante cacophonie de bruits ; mais cette précipitation finit toujours de la même manière, avec une détonation au coup de tonnerre : sschhiiii... boum !  Les microphones d’Hollywood ne reproduisent ni suffisamment en acuité ni en volume cette explosion au champ de bataille ; et les effets visuels simulant d’ordinaire l’averse d’obus – avec des sachets en plastique remplis d'essence et de silicate d'aluminium – sont autant fallacieux.  En réalité, l'œil enregistre souvent la détonation d’un obus comme un flash instantané en jaune et orange, sautant de l’intérieur d’une fontaine ténébreuse de fumés mêlées de terres pulvérisées, parfois cloutée et brodée de grands monceaux de débris plus indolents.  Les segments de terre et de pierres soulevés par l'explosion, davantage massifs et lourds, tombent auprès d'abord ; les débris moindres, soufflés bien plus haut, crépitent et se laissent tinter pendant une durée considérable et sur un secteur autant plus étendu. 

« La vague instantanée de pression explosive s’épanouit à vitesse supersonique : voici l'extension de l'anneau vu au passage, par exemple, sur la pellicule aérienne enregistrant des explosions d’une file de bombes.  S’en suit le vent du souffle après un intervalle appréciable mais bref : le déversement en bloc, au loin de l'explosion, des gaz chauffées, des fragments et des débris terrestres.  Ceux aux alentours du cible éprouvent cette vague de pression comme une sensation abrupt de serrage aigu à la poitrine et son choc est pareillement ressenti par l’intermédiaire du sol : ce frissonnement terrestre assez fort pour rendre les personnes s’abritant aux fossés, dans la crainte (autant admissible) qu'elles sont sur le point d'être enterrées vivantes ; et celles parterre à plat ventre ont la sensation d’être gesticulées violemment dans l'air.  Ces sensations sont accompagnées d’un bruit à étourdir, et sous le feu lourd et persistant, toutes les sensations physiques se trouvent accablées.  Absolument impuissants d'influer leur chance de survie, les soldats trouvent dans l’averse soutenu d’obus et de mortiers la pire épreuve du combat ; ceux qui l'éprouvent sont souvent temporairement ébranlés, perdant tout contrôle musculaire (y compris ceux de la vessie et du sphincter) et de toute appréciation raisonnable Au-delà : « Oh mon Dieu, s’il te plait, pas ça... »  Ces effets sont particulièrement remarquables parmi des hommes exposés aux feux d’obus pour la première fois—ainsi qu’en fut la grande majorité à Dien Bien Phu.  Bien que ces réactions physiques et mentales soient tout à fait involontaires, cette crainte est raisonnable : dans la guerre moderne, ce sont les bombes d’obus et de mortiers qui produisent la grande majorité des pertes.  

« Dans la minorité des cas quand un homme souffre du coup pratiquement direct d'artillerie, cela résulte dans la destruction complète de son corps : "L’obus l'a frappé, je te dis, il l'a soufflé en petits bouts minuscules... un pied en botte, une section de crâne humaine, un ensemble de doigts, un restant d'habits.  Ce n'était qu’une simple question de petits rondins minuscules."  Le témoignage de cette annihilation physique totale, peut-être d'un ami, c'est particulièrement choquant ; cela déchire d'un seul coup un certain nombre d'illusions obligatoires et protectrices de soi.  Quand un corps humain se fait sauter, la colonne vertébrale, étonnamment résiliente, subsiste souvent ; après qu'un obus tombe au milieu d’un groupe d’hommes, le compte des vertèbres restantes est parfois la manière la plus simple de dénombrer les morts.

« La plupart des atteintes, cependant, se produisent à plus grande distance du site de l'explosion.  Les atteintes du souffle au corps humain peuvent être catégorisées comme primaires, secondaires et tertiaires.  Dans la première catégorie, voici l'effet direct de la vague de pression ; dans la seconde, l'effet des projectiles et débris emportés par le vent du souffle ; dans la tierce, le résultat d’un corps jeté en l'air, puis écrasé au sol ou contre d'autres obstacles.

« L’évidence du dégât primaire, c’est la rupture des tympans qui peut se produire quand la pression atmosphérique monte moyennant de 0,3 à 1 kilogramme par centimètre quarré ; les mémoires de guerre offrent des exemples à foison d’hommes nantis par le souffle qui semblent s’être endormis paisiblement, hormis ce saignement dénonciateur des oreilles.  Les atteintes mortelles internes provoquées par une pression de 3,5 kg/cm2 sinon plus, ne présentent aucune signe extérieur dramatique (bien que les victimes d’averses d’obus souffrent typiquement de blessures multiples.)  Les organes contenant du gaz soutiennent des dommages immédiats et souvent mortels de la part de cette vague de pression : de temps en temps, les poumons et le côlon souffrent des dommages catastrophiques de l'effet instantané de cette compression du souffle.  De grands vides remplis de sang se forment dans les alvéoles spongieuses du poumon et de fatales embolies gazeuses sont déchargées dans le système artériel ; moins souvent, les entrailles peuvent rompre, comme le peuvent dans quelques cas la rate et le foie.

« Les dégâts secondaires seront certainement plus dramatiques.  Quand un obus éclate, sa cuirasse en acier se brise en fragments de toutes formes et tailles : de perles minuscules jusqu’aux gros bouts tordus pesant plusieurs kilos.  Ceux-ci – ainsi que des pierres, des lambeaux d'armes et d'appareillages, et même des grands fragments d'os provenant de carcasses abîmées plus près du souffle – tourbillonnent de ce milieu à vitesses diverses.  Les effets d'être heurté par des fragments d’obus (habituellement bien qu'incorrectement désignés shrapnel) varient selon la taille et la vitesse de ces tessons en métal.  Parfois l’homme ignore qu'il fut percé par un petit éclat, jusqu'à ce d’autres ne lui indiquent le trou taché de sang dans son habit.  De plus grands fragments, tourbillonnant dans l'air comme une roue de charrue, brodée de lames et de crochets déchiquetés, peuvent éviscérer et démembrer.

« Dans bien des cas, cette évidence se rend trop vive en confrontant le témoin.  Chez d'autres,  la réaction immédiate est celle de perplexité toute simple : le souffle et l'acier peuvent jouer des tours tant extrêmes avec la forme humaine que l'observateur ne comprend plus ce qu’il regarde.  Quand un certain repère aléatoire de référencement physique rétablit subitement l'image entière en modèle compréhensible, le choc d’identification peut être accaparant.  Les enjeux d’une destruction massive – la carcasse ruinée d'un torse, les côtelettes cramoisies, les entrailles scintillantes, les membres arrachés et dispersés, la tête déracinée – comportent une misère noire de charnière qui nie toute dignité humaine.  Durant les soirées fraîches à Dien Bien Phu, les cavités chaudes et béantes de carcasses cuisirent visiblement à vapeur et les entrailles entrouvertes dégagèrent la puanteur des excréments. » 

Martin Windrow, La dernière vallée, op. cit., pp 371-374.

 

 « Tout dépend de la physique. Ce que les films ne peuvent représenter, c’est qu’ordinairement, la forme le plus mortelle d'une explosion n’est pas la dispersion de projectiles par son souffle, mais l’énorme onde de choc libérée par ce souffle.  Alors que cette onde de choc s’affaiblit rapidement sur le terrain dégagé du champ de bataille ordinaire, la disposition en falaise d'une ville lui fournit des canaux de traverse et aussi des effets d'amplification tandis qu'elle carambole entre les murs et les bâtiment environnants.  Cette vague, elle aussi, s'affaiblira peu à peu en s’éloignant de la source, mais sa force exponentiellement plus concentrée infligera des dégâts beaucoup plus importants.  Elle est aussi capable de laisser des cercles concentriques et nettement tracés de destruction.  Toute comme la lecture d’anneaux de croissance d'un arbre, un observateur expérimenté dans l’examen de ces cercles pourra tout à fait aisément déterminer l'épicentre exact de cette explosion, même si aucune apparence physique – un cratère, par exemple – ne reste. 

« Dans le secteur proximal du souffle, la terre sera balayée d’une propreté parfaite.  Naturellement, la dimension de cet épicentre dépendra de l’ampleur de l'explosion. Etant donnée la gamme d'artillerie habituellement employée par les armées modernes, elle pourrait s’étendre de cinq à trente mètres – mais dans ce secteur, il n’y aura plus un feuillet de papier ni une pépite d'asphalte libre, et quiconque assez malheureux pour s'être tenu là n'aura pas été fatalement jeté ni culbuté mais vaporisé : pas une dent, ni un bout d'habit ni un lacet ; ils auront simplement été transformés en brume.   

« En se déplaçant de l'épicentre, on commencera à trouver des petit bouts de débris, y compris des rondins de chair, mais au commencement ceux-ci seront tant petits et dégradés qu’ils seront méconnaissables.  Un peu plus loin et ces chutes deviendront plus grandes, mais ce sera toujours difficile de leur distinguer des simples détritus parce que le corps humain claque de manière imprévisible et ces bouts seront noircis et roussis, encroûtées de terre et de gravier, facilement confondus avec des chiffons légèrement brûlés ou même des fragments tordus de métal. 

« Au delà de cet anneau, les restes humaines commenceront à prendre une forme reconnaissable.  Au début, ce seront pour la plupart du temps des membres et des torses détachés, certains encore vêtus, mais la plupart nus ou laissés en sous-vêtements, leurs survêtements ayant été déchiquetés ou brûlés dans le souffle initial.  Dans ce secteur, il y aura également un certain nombre de corps sans têtes.  C'est parce que la tête est la partie la plus lourde du corps humain, aussi la plus délicatement attachée, et dans le choc énorme d'un souffle d'artillerie, il se sépare souvent aux vertèbres supérieures de la colonne vertébrale.  Ce n’est pas du tout rare, dans de telles situations, de trouver trois ou quatre têtes alignées au bord de la rue ou au pied d'un bâtiment, à une certaine distance de l'explosion, ces têtes ayant roulé jusqu'à ce qu’un obstacle n’ait interrompu leur impulsion.  Dans ce secteur, on commencera également à trouver les premiers survivants les plus gravement blessés, et puisque bon nombre d'entre eux seront toujours conscients et suppliant de l’aide au delà de la capacité à quiconque de leur en rendre, c'est habituellement ce secteur qui sera le plus bouleversant aux témoins. 

A une certaine distance de l'épicentre – ce qui peut être de vingt à cent mètres, encore selon l’ampleur de l'explosion – il apparaîtra que l’on ait atteint le rebord de cette destruction, mais ce ne sera probablement pas le cas.  Selon la trajectoire de l’obus et les particularités architecturales de la ville, les ondes de choc sont susceptibles d'avoir traversé les immeubles et les allées environnants, et ici on sera susceptible de trouver un certain nombre de défunts supplémentaires ne portant aucune blessure évidente.  Ce seront des gens ayant été foncièrement écrasés, leurs organes internes ont éclaté de la force énorme et instantané à laquelle elles furent exposées, et ce ne sera pas du tout anormale de trouver ces victimes se reposant tout droit dans leurs chaises, comme si elles faisaient simplement une sieste ou regardaient pensivement dans l'espace. 

« Mais autant horrible que tout cela puisse être, ceux qui tombent comme victimes directes du souffle et de l’onde de choc des obus d’artillerie ne représentent normalement qu’un contingent de ceux meurtris quand une ville est bombardée.  De nombreux supplémentaires seront fauchés par des tessons de verre provenant des fenêtres soufflées ; qui agissent comme des milliers de poignards laminés éclatant dans toutes les directions, nantis parfois d’une vitesse suffisante pour percer du métal ou du béton sinon traverser la torse humaine.  D'autres meurent lorsqu’un bâtiment se renverse sur eux.  Et puis il y a ces feux qui accompagnent tant souvent les bombardements.  Tandis que les armées plus sophistiquées ont développé des bombes incendiaires qui sucent littéralement l'oxygène hors d'un secteur visé, exterminant en vitesse tout le monde pris au dedans (et de récents drones dits "Dragons" qui vomissent des coulées chaleur blanche de thermite) la forme la plus commune de mort dans ces circonstances, c’est l'épreuve prolongée d'empoisonnement à l’Oxyde de Carbonne tandis que le bâtiment brûle lentement autour de la victime.  Puis, naturellement, il y a ceux qui subsistent pendant un certain temps, qui ne succombent de leurs blessures qu'au jour suivant sinon celui d’après…» 

Scott Anderson, Moonlight Hotel, Doubleday, Random House, 2006, pp. 168-170.

 

Sinon auras-tu à trimbaler le corps brisé de ton ami, lourd comme du plomb, vers un destin incertain à l'arrière, souhaitant à moitié qu’il crève et te soulage de la lutte pour le sauver. La perte de tes amis se tordra dans ton cœur comme un poignard. Tu éviteras de telles amitiés ensuite. Plus jamais d'attachements si pénibles pour toi.

Le copain sauvé sera celui « chanceux ». En toute probabilité, tes compagnons auront dégagé sous ordres d’ignorer les blessés. Tes brancardiers héroïques se feront descendre par la prochaine rafale ennemie.  Ta blessure te clouera au sol jusqu’à ce qu’un adversaire errant ne mette fin à ta misère avec sadisme enthousiaste ou incertitude mal aisée, et ne te dérobe le corps avant de reprendre sa randonnée. Tu pourras mourir hurlant en agonie ou saigner à mort en silence, tout seul en bon temps.

Pourquoi s'inquiéter de quiconque n’appartenant pas à ta petite tribu infestée de vermines ? Tous ceux sauf tes compagnons d’escouade réduite – amis ou ennemis, co-combattants ou non – tous ceux-là endosseront une silhouette spectrale dont la souffrance et l'extermination deviendront des objets de soulagement, d'indifférence ou de dérision sportive. Tu dédaigneras surtout les civils pâteux que tu fus expédié là pour défendre ; leur souhaitant pire destin que le tien, aigrissant peut-être leur sort par la sombre magie de ton envie. 

Toi et chaque survivant non pas un sociopathe inné, vous muterez tôt ou tard en zombis post-traumatisés. Sur ce, rien ne rendra vraisemblablement aide jusqu’à ce que tu ne reçoives des mois de soins professionnels et peut-être même plus jamais, quoi qu’y arrive. Personne ne s’en remet entièrement.

Ta seule vraie tâche, c’est tuer et si possible ne pas être tué. Tu seras invité à assister à tous les crimes que tu dédaignes. Rien d’autre que ton acceptation complète de cette dégradation criminelle ne te permettra d’échapper de cet enfer ; le corps intact, peut-être, mais l’âme en lambeaux. Ta haine t’aveuglera. Les cris d’agonie de l’ennemi se rendront en musique à ton écoute, comme peut-être les sanglots des femmes et des enfants coincés entre des tirs croisés. Le pillage deviendra un enjeu sportif, un soulagement pour l’immesurable ennui qui prédomine dans la vie militaire, l’interminable ennui qui prédomine dans la vie militaire, l’inerte ennui qui prédomine dans la vie militaire : répète dix mille fois par jour. Toute décence prisée d’antan te sera arrachée, et les perversions de justice et de compassion te deviendront coutumières de témoignage ou d’action. 

Ce ne sera qu’alors que tu saisiras la monstruosité qu’est la guerre. Trop tard, hélas, pour faire quoi que ce soit à son insu sauf renforcer sa misère. Tes options se rétréciront à celle seule de la survie et pas toujours ça. Tout le reste deviendra des propos vides et des sensations creuses ; comparés aux extases combinées du combat survécu, de la loyauté hyper fraternelle et de l’aléatoire verdict de vie ou de mort. 

Dépouillé des pastels et des arcs-en-ciel rigolos de la vie civile, ton dilemme, en simple noir et blanc, pourrait t’intoxiquer irrémédiablement et t’ôter la capacité de rattraper les rapiècements de la paix. Dans ce cas, ta communauté adorée, ancienne pratiquante du triage social, t’éteindra tranquillement une fois que tu renoueras son étreinte — sans pause, sans pitié, sans dignité ni regret. Tu ne seras même pas compté parmi les deuils de la guerre, bien moins honoré pour ta participation. Encore plus de vétérans meurent ainsi, que ceux au combat. Ils périssent isolés du monde chez eux. De 22 à 28 de tels suicides par jour aux USA en 2019. 

Ces jours-ci, davantage d’enfants disparaissent en guerre que soldats. Ce fut en toute probabilité toujours le cas, mais jamais reporté au monde civil sans censure. Les psychopathes préfèrent léser des innocents avec le consentement d’un public ignorant.

 Le réveil du lendemain sera semblable à celui d’aujourd’hui, d'hier et du jour avant, à moins qu’un nouveau désastre ne sonde ton courage, ta santé d'esprit et ta résistance, ne te fouette et en toute probabilité ne te fasse crouler, convulser et périr. 

Au lieu des appels d’un héro opératique : au bon Dieu, au devoir, à l’honneur ou à la patrie ; ce que tu t’attendrais déclamer dans de telles circonstances imaginaires ; tes derniers souffles coupés court seront probablement des petits cris de bambin en peine : Mama ! Mamie ! Maman ! Qu’un renouveau miraculeux d’étreintes maternelles te délivre de ton agonie par son amour remémoré ! Ta tentative de rétablir, sur ta dernière position, les réconforts du sein et de l’utérus. Ça fait tellement mal ! Ta précieuse vitalité d’adulte coulera de toi avec ton sang.

Personne ne se préoccupera de toi pour bien longtemps. L’armée est configurée pour se débarrasser de ta carcasse avec le moins de problèmes. Si tu es parent, ta mort acérera la misère de tes enfants et de leur mère, aussi celle atroce de tes parents. Victorieux ou défaits, ceux pleurant ta disparition se tairont bientôt et disparaîtront à leur tour, et ta précieuse vie, déversée dans le vide, sera oubliée. 

Ta misère deviendra une abstraction : moins qu'une apostille dans des ouvrages d'histoire qui enterrent des vies gaspillées sans compter en jargon militaire, héroïsme fantaisiste et des absurdités géopolitiques. Moins significative qu’une fourmi écrasée, que la mite à la flamme. Ta vie passionnée et immaculée, née de souffrance et d’espoir et nourrie des parents et des gardiens dévoués, sera pelletée dans la plus salle des machines d’armes (shoveled into the WeaponWorld Jive Drive.) Pleins de tois, réincarnés dans les enfants à venir, devront reprendre ton chemin absurde au néant. 

Chaque vie militaire est une longue mission suicidaire pour ceux qui y périssent.

 

Dis-moi maintenant, cher Apprenti, comment peuvent les routines rassurantes de la paix et du progrès nous préparer pour ces longues agonies en série — comparées auxquelles la crucifixion du Christ durant un après-midi aurait compensé son agonie par sa brièveté. Seulement le conditionnement progressif et hypnotique depuis la naissance, soutenu par mille ans d’embrigadement compulsif – grâce à notre civilisation d'armes – ceux-là seuls nous ont empêchés d'abandonner cette sépulture de fous, hurlant du fond de nos poumons, et de défier ces psychopathes évidents qui cherchent à tendre nos extrémités délicates dans la flamme de leur patriotisme, comme des boudins craquant dans le feu du camp. 

Il serait mieux s'il n'y eut plus jamais de guerre, seulement le monde paisible. Non aucun combat du tout, du moins d’ici un certain temps, mais moins à présent et de moins en moins avec le temps. Plaise Dieu.

- LE MONDE PAISIBLE DES APPRENTIS –

 

L’Adresse Gettysburg de Lincoln

« Il y a octante et sept années, nos pères ont engendré sur ce continent une nouvelle nation, conçue en liberté, et consacrée à la proposition que tous les hommes sont créés égaux. » 

« ...  » 

« Nous sommes venus pour consacrer une partie de ce pré, comme l’ultime lieu de repos de ceux qui y ont livré leur vie pour que vive cette nation. Ce nous est entièrement approprié et opportun de le faire. » 

« Mais, dans le sens plus large, nous ne pouvons pas dédier ‒ ne pouvons pas consacrer ‒ ne pouvons pas sanctifier – cette terre. Les valeureux qu’y ont lutté, ceux vivants comme ceux défunts, l'ont consacrée au-delà de notre faible propension d'y ajouter ou soustraire. Le monde remarquera à peine, ni ne se rappellera pour bien longtemps, ce que nous exprimons ici ; mais on ne doit jamais oublier leur accomplissement. C’est à nous, les vivants, de nous consacrer à l'œuvre inachevée, avancée avec telle noblesse par ceux qu’y ont combattu. C’est plutôt à nous d’être dédiés ici au grand œuvre qui nous reste au-devant  ‒ pour que de ces disparus adulés nous tirions encore plus de dévotion pour la cause à laquelle ils ont rendu l’ultime, l’entière mesure de dévotion ‒ pour que nous ayons franchement résolu que ces défunts n’auront pas disparu en vain ‒ pour que cette nation sous Dieu dispose d’une nouvelle naissance de la liberté ‒ et pour que le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, ne périsse jamais de la terre. » 

Abraham Lincoln, le 19 novembre 1863

https://www.owleyes.org/text/gettysburg-address/read/text-of-lincolns-speech#root-8

 (mon interpretation)

COMMENTAIRE ?  markmulligan@comcast.net